C'est en 1948 que Birgit Nilsson prend possesion de son premier rôle straussien : il s'agit de la Maréchale de DER ROSENKAVALIER qu'elle chantera une trentaine de fois. L'année suivante, elle chante le rôle d'Ariane dans ARIADNE AUF NAXOS pour la radio suédoise. Il faut attendre l'année 1954 pour que Birgit Nilsson incorpore le rôle de Salomé à son répertoire. Elle interprétera ce personnage une soixantaine de fois. Bien qu'elle soit très applaudie dans ce rôle, elle va attendre onze années avant d'interpréter le rôle qui lui vaudra une gloire internationale avec l'Isolde et la Brunnhilde de Wagner : Elektra. Cette dernière dépassera les cent représentations. Voici une interview de Birgit Nilsson :
J"ai d'abord détesté le rôle d'Elektra quand j'ai commencé à le chanter, parce ce que je croyais qu'il allait casser ma voix. Tout le monde m'avait dit de ne pas commencer avec Elektra avant d'être sur la courbe descendante ! Finalement, je me suis décidée à apprendre le rôle parce que "Decca" a voulu faire un enregistrement avec moi et j'ai pensé que pour un disque on peut ménager sa voix et qu'on n'a pas besoin de chanter trop. Mais pour être capable de l'interpréter correctement j'ai d'abord voulu le faire sur scène à Stockholm. C'est alors que j'ai commencé à tant l'aimer. Je me suis aperçue que finalement Elektra n'est pas si difficile ni si dangereux pour les voix. Je crois que cette réputation vient du fait que beaucoup de chanteuses font l'erreur de le chanter "forte" tout le temps en forçant leur voix. Je crois qu'une grande partie de l'ouvrage est plus lyrique, il a des moments de musique merveilleuse. Bien sûr, il y a des passages dramatiques, très héroïques, mais aussi d'autres qui sont tellement touchants. Elektra demande à ma voix moins que Turandot. Peut-être mes trois premières Elektra n'ont-elles pas tenu compte de cela, mais je crois qu'elle n'est pas seulement un personnage héroïque et hystérique, c'est quelqu'un de perdu et de très émouvant quand elle retrouve son frère. Quand son père a été tué c'était presque une enfant, et elle a eu un choc terrible, elle n'a plus jamais été la même. Chrysothémis était plus jeune, elle a pu oublier, mais Elektra a seulement vécu pour une chose : la vengeance. Elle en est obsédée. Je ne crois pas qu'il y ait une grande affection entre les deux soeurs, ni de points communs, elles ont été séparées trop longtemps et élevées trop différemment. Chrysothémis dans le luxe et Elektra avec les chiens, avec une seule robe sale, les cheveux hirsutes. Si Chrysothémis aime sa soeur pourquoi n'apporte-t-elle pas à Elektra une nourriture correcte et des vêtements décents ? Or elle accepte la situation, elle est horrifiée par les projets d'Elektra parce qu'elle a peur. Quant à Clytemnestre, il ne faut pas oublier qu'elle a chassé son fils et essayé de le faire tuer. Il se peut qu'elle éprouve une sorte de sentimentalité, un besoin de s'épancher à l'approche de la mort, mais c'est un amour purement égoïste. Quand après un long moment, Elektra reconnait son frère, tout son besoin d'amour, tous ses complexes se réveillent, c'est un pauvre être humain, mais elle doit aller jusqu'au bout de sa vengeance. Après la mort d'Aegisth elle n'a plus aucune raison de vivre, ses forces l'abandonnent, elle n'a plus qu'à mourir.
Dix ans plus tard, en 1975, Birgit Nilsson stupéfie le monde artistique en ajoutant un dernier rôle à ce répertoire déjà étendu : A l'âge de cinquante-sept ans, elle chante pour la première fois à Stockholm le rôle de la teinturière, l'épouse de Barak de LA FEMME SANS OMBRE. C'est un nouveau départ... De nouveaux triomphes à Vienne, Munich, New York, Buenos Aires, San Francisco. Lorsqu'elle quittera la scène, Birgit Nilsson aura déjà à son actif une soixantaine de représentations de DIE FRAU OHNE SCHATTEN.
